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Association France Ethiopie Midi-Py.
6 mars 2010

Le loup d’Abyssinie : La meute assiégée

Source : Terre sauvage, septembre 2006

 

Par Marie Lescroart – Photos Andrew Harrington

Territoire exigu régulièrement grignoté, intégrité génétique mise à mal, maladies ravageuses… Les jours du loup africain semblent comptés, sauf si l’écotourisme vient à la rescousse de l’espèce.

Gracieuse sur ses longues pattes, elle trottine au soleil. Robe rousse, bottines, collier et museau blancs, bout de la queue comme trempé dans un pot de peinture noire, elle zigzague parmi les bruyères bleutées, fend un champ de gra­minées sauvages et, soudain, s’arrête net, ventre à terre, oreilles couchées. Lentement, elle s’approche en rampant de la sortie d’un terrier. Un seul bond, comme un chat, et le rat-taupe géant gît, déjà mort, dans sa gueule. En fin d’après-midi, sa proie avalée ou soigneusement cachée sous terre, la louve rejoindra sa meute. Il y aura des jeux, des frottements de museau, et le départ des patrouilles dans la lumière dorée de la fin de journée. Deux par deux, ou par petits groupes derrière l’un des membres du couple dominant, ils iront gratter le sol, lever la patte sur les cailloux, déposer leurs selles dans des endroits stra­tégiques et donner de la voix. Ainsi, les meutes voisines sauront qu’elles franchis­sent ces limites à leurs risques et périls.

Espèce endémique des montagnes d’Ethiopie, cantonnée aux pelouses de l’étage afro-alpin à plus de 3 000 mètres d’altitude, le loup d’Abyssinie chasse en solitaire mais chaque meute défend col­lectivement son territoire et, le soir venu, tous ses membres s’endorment ensemble, à même le sol, roulés en boule pour se protéger du froid. Cet esprit d’équipe atteint son paroxysme à la saison de la reproduction. « Seule la femelle du couple dominant se reproduit. Elle met bas une fois par an, dans un terrier, sous une pierre ou dans une crevasse, explique Claudio Sillero, responsable de l’EWCP, pro­gramme de conservation du loup d’Abyssinie. Mais toute la meute protège les lou­veteaux contre les prédateurs et régurgite des proies pour les nourrir. Les femelles subordonnées jouent même les nourrices, aidant la dominante à allaiter sa portée. »


UN HABITAT PEAU DE CHAGRIN

Nombreux au km2 – 6 000 -, les rats-taupes sont une proie facile pour Canis simensis

Dans les montagnes de Balé – une partie est protégée par un parc national -, 90 % du régime alimentaire du canidé est consti­tué de rats-taupes géants. Ce rongeur endé­mique des hautes terres du sud du Rift pèse jusqu’à 900 grammes : un seul rassasie un loup pour la journée. Il ressemble vaguement à une marmotte dont les yeux auraient migré au sommet du crâne, ce qui lui permet d’observer la surface qua­siment sans sortir de son terrier. Mais c’est insuffisant pour échapper au prédateur, capable de mettre le terrain à sac pour l’in­tercepter dans son réseau de galeries. Là où le rat-taupe géant est absent, le loup d’Abyssinie se nourrit d’autres rongeurs : souris, musaraignes, rats-taupes, lièvres… « Par sa masse, ce groupe d’animaux domine l’écosystème de l’étage afro-alpin, explique Claudio Sillero. Leur densité sur certaines pelouses peut atteindre 29 kilos par hec­tare, l’équivalent de la biomasse des trou­peaux d’herbivores dans la savane de l’éco­système Massaï-Mara Serengeti, au Kenya et en Tanzanie. » Le loup chasse aussi en groupe et s’en prend à de petits ongulés ou à l’hyrax, un animal lui aussi aux allures de marmotte, proche cousin des éléphants. En fonction de la densité de proies, le ter­ritoire de la meute varie de 6 à 13 km2, un mouchoir de poche comparé au domaine du loup gris, son cousin d’Eurasie et d’Amé­rique, qui fait plus de 200 km2 !

Étant donné l’exiguïté de son territoire, le loup d’Abyssinie n’a sans doute jamais été abondant mais aujourd’hui, il est le canidé le plus rare et le plus menacé au monde, avec 500 représentants. La moitié de ses effectifs se concentre dans les montagnes de Balé, l’autre est disséminée au nord du Rift, fractionnée en populations de moins de 50 individus, très petites, donc très sen­sibles aux maladies. Cette répartition est liée à l’accroissement démographique galo­pant des hautes terres éthiopiennes, qui supportent aujourd’hui des densités de population humaine parmi les plus éle­vées d’Afrique. « En dessous de 3 200 mètres d’altitude, 60 % des terres ont déjà été converties à l’agriculture, déplore le scien­tifique. Dans certaines régions, l’orge est cultivée jusqu’à 3 700 mètres. » Autant d’habitats perdus pour le loup.

 

L’ÉCOTOURISME EN RENFORT

Ailleurs, l’élevage empiète aussi sur le domaine du loup. « Sa présence déplaît aux bergers, qui l’accusent de tuer moutons et chèvres. Pourtant, contrairement aux hyènes et aux chacals, le loup s’attaque rarement à ce type de proie. » Des cani­dés sont, néanmoins, régulièrement abat­tus, d’autres sont écrasés par des véhicules sur les rares routes traversant les hauts pla­teaux. Dans les montagnes de Balé, l’hy­bridation de chiens domestiques avec les louves a été constatée, produisant des des­cendants féconds qui mettent en péril l’intégrité génétique de l’espèce. Mais le pire, ce sont les maladies transmises par les chiens et les animaux domestiques, comme la rage. Au début des années 90, une série d’épidémies a fait chuter la population du parc national de Balé, estimée à environ 440 individus, à moins de 150 loups. Implantée depuis 1988 en Ethiopie, l’EWCP mène des campagnes de vacci­nation antirabique des chiens domestiques et capture les hybrides pour les stériliser avant de les relâcher. Elle sensibilise aussi les populations à la protection de l’espèce. « La sauvegarde du loup et de son écosys­tème passe aussi par l’écotourisme, estime Claudio Sillero. Des étrangers viennent visiter la région pour son patrimoine natu­rel, incitant ainsi fortement les habitants à protéger les loups. » Or, même s’ils sont rares, ceux-ci sont des prédateurs très faciles à observer, car ils chassent de jour, et à découvert. À bon entendeur…


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